Le comportement des foules sur les réseaux sociaux
Le mouvement de foule, mécanisme humain tantôt redouté toujours jugé fascinant, a fait l'objet de nombreuses recherches par les sociologues, notamment depuis le XIXème siècle avec le célèbre Gustave Le Bon, dont l'oeuvre Psychologie des foules est un véritable ouvrage de référence.
Mais avec l'avènement des réseaux sociaux virtuels, les mouvements de foule prennent une tout autre dimension et une toute nouvelle ampleur.
Les réseaux sociaux numériques
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les réseaux sociaux existaient bien avant la démocratisation d’internet. Ils désignent tout simplement, en sociologie, un ensemble d'identités sociales, telles que des individus ou des organisations, reliées entre elles par des liens créés lors d'interactions sociales; par exemple un club d’amateurs de manga ou encore un réseau de Français à l’étranger (comme l’Alliance Française ici à Bangkok). Aujourd’hui, ce terme a, en dehors de la sociologie, une signification plus exclusive et désigne les sites internet qui permettent d’établir des réseaux d’amis, de connaissances ou de collègues et sert à leur communication et leur interaction.
Vers une foule 2.0
Depuis la démocratisation d’internet et la création des premiers médias sociaux, le nombre d’utilisateurs monte en flèche. Aujourd’hui, sur 7,4 milliards d’habitants sur Terre, on retrouve 2,31 milliards de personnes sur les réseaux sociaux, soit 31% de la population mondiale. Avec 1,79 milliards d’utilisateurs mondiaux, Facebook est en tête des réseaux sociaux. En France, on y compte 26 millions d’internautes sur 65 millions d’habitants (40%).
Avec la rapidité d’internet et avec le temps que passent les Francais sur ces médias (1h20 en moyenne par jour), une information diffusée et relayée sur un réseau social peut atteindre un public particulièrement large. Il s'agit ici d’une communication de masse.

Avant même qu’il y ait un phénomène de foule, le réseau social virtuel représente déjà une foule d’une ampleur particulièrement élevée. Les médias sociaux sont donc des outils propices à la création de mouvements de foule.
La liberté d’expression parfois excessive sur les réseaux sociaux...
Cachés derrière leurs écrans, les internautes oublient vite les règles et les tabous. Libre à chacun alors de se blottir dans une sensation d’anonymat et parfois même de s'inventer une tout autre identité (bien que la divulgation de fausses informations personnelles soit interdite, il est impossible de tout vérifier). Le prince se mélange alors avec le pauvre, l’on expose en toute liberté son point de vue sur le monde ou sur le débat politique du moment. Les réseaux sociaux permettent à tout le monde de s’exprimer parfois trop librement.
En 2015, à la suite de la profanation de plusieurs centaines de tombes dans un cimetière juif, M. Bernard Cazeneuve (actuel Premier ministre) répond en tant que ministre de l'Intérieur à une question sur l’antisémitisme: « (…) une forme profonde d’ignorance et de bêtise que l’on voit se déployer dans un irrespect assumé sur Internet avec des phrases, des mots qui atteignent et blessent, et que l’absence de régulation permet ». En effet, la liberté d’expression est telle sur Internet que certains utilisateurs se donnent beaucoup de libertés et publient des choses qu’ils ne se permettraient jamais dans la vraie vie, c'est à dire dans notre monde non virtuel. Certes, les réseaux sociaux ont bel et bien un règlement concernant les messages haineux (voir la partie “Sécurité” de la “Déclaration des droits et responsabilités” de Facebook ci dessous), mais vu le nombre important d’utilisateurs, il est impossible pour ces médias de traiter un tel débit d’informations. Facebook le déclare très explicitement, l’entreprise ne peut “pas garantir la sécurité absolue” et on peut effectivement le constater si on passe un peu de temps sur le site: on y trouve des commentaires homophobes ou racistes, des insultes ainsi que la diffusion d'images violentes (par exemple les vidéos de décapitations diffusées par Daesh). Il faut que l'information nuisible atteigne un certaine ampleur pour qu’elle soit remarquée par Facebook et supprimée.

...mais parfois bénéfique.
D‘un autre côté, cette liberté d’expression est aussi souvent utilisée à bonne escient. Sur les réseaux sociaux, on peut rencontrer par exemple de nombreuses associations qui militent pour des causes justes. Les réseaux sociaux leur permettent de toucher un public plus bien large. Mais par dessus tout, il est sur ces médias extrêmement simple de protester, de manière plus efficace et avec une ampleur tout autre.
Une pétition est soumise en ligne chaque année par l'association Raise UR Paw pour arrêter le festival de Yulin en Chine, où
14 000 chiens et chats sont massacrés tous les ans pour ensuite être mangés. Cette pétition a été énormément partagée l’année dernière et a réussi à récolter plus de 4,5 millions de signatures; pas assez pour annuler le festival (6 millions de signatures étaient requises), mais assez pour se faire connaître et prendre de l’importance.
L'information est énormément partagée, notamment par des célébrités qui ont un impact considérable, et se repend comme une contagion.
Des mouvements de foule "nouvelle génération"
Il est possible de comparer les phénomènes de foule sur le web à l’engouement des masses pendant le Moyen Age. Nous avons tous à l'esprit l'image d'un groupe de villageois en colère brandissant torches et fourches à la recherche du vampire ou du loup garou qui terrorisent la population. Le phénomène est comparable sur internet quand la foule est en colère.Nous pouvons assister à une vague de protestations visant à dénoncer un individu raciste ou la violence policière à coup de hashtags et de commentaires hostiles. La plupart des mouvements de foule sur le web ont pour objectif de protester.

Image tirée de The Simpsons Movie. Les villageois en colère cherchent Homer Simpson afin de le tuer pour avoir déclenché la mise en quarantaine de la ville.
Prenons par exemple le cas des violences policières aux Etats-Unis, sujet de polémiques sur les réseaux sociaux depuis 2013.
Dans une série de vidéos que l'on trouve sur les médias sociaux, on peut voir des agents armés arrêter des civils sans défense de manière particulièrement brutale. Mais ce qui a le plus choqué le public est que les victimes ne paraissaient pas particulièrement dangereuses pour être brutalisés de la sorte, et que la plupart étaient noires. En effet, les Etats-Unis ont été le théâtre de nombreuses violences mais aussi de meurtres commis par des policiers.
Pour y répondre, Alicia Garza, Patrisse Cullors et Opal Tometi, trois femmes afro-américaines, ont lancé en juillet 2013 le mouvement nommé “Black Lives Matter” (“Les vies des Noirs comptent” en français). L’affaire Trayvon Martin en a été l’élément déclencheur: un adolescent noir a été abattu sans raison recevable par le policier George Zimmerman. Le policier, invoquant la légitime défense, n’a pas été inculpé: la politique de stand-your-ground (“défendez votre territoire”) aux Etats-Unis peut éviter une personne des poursuites judiciaires si elle a usé de violence, même mortelle dans certains cas, afin de protéger sa maison ou tout lieu qu’elle occupe de façon légale.
Mais la question du racisme parmi les forces de police a alors été soulevée et de nombreuses manifestations réelles, doublées de mouvements de foule virtuels, se sont succédé. Le hashtag #BlackLivesMatter a alors été créé sur la plateforme Twitter par les fondatrices du mouvement.
Hashtag (#): Représenté par un dièse #, précédant un mot-clé ou un groupe de mots (attachés), il permet de rendre ces mots cliquables et ainsi d'établir un thème à la publication et de nous permettre d'en consulter d'autres sur le même sujet. Ce moyen est aussi très utilisé pour créer des conversations, notamment par les médias et les personnalités médiatiques qui proposent un hashtag précis pour trouver facilement les réflexions des utilisateurs sur un sujet.
C’est avec la succession de plusieurs meurtres similaires, notamment celui de Michael Brown (adolescent non armé) en 2014, que l’utilisation du hashtag explose.
Avant l’incident, le hashtag était utilisé environ 48 fois par jour (52 000 fois en tout) pour introduire la question du racisme en général. Le jour du décès de Brown, le chiffre explose: il est utilisé 10 000 fois en une vingtaine d’heures. Le jour du procès du policier impliqué dans la mort de l’adolescent arrive, il n’est pas inculpé. La foule se déchaîne et en trois semaine, plus de 1,7 million de tweets accompagnés du #BlackLivesMatter sont postés, souvent doublés du #Ferguson, ville où l’incident tragique a eu lieu. Au total, 41 millions de tweets en rapport avec le mouvement ont été postés.
Différents types de messages que l'on peut retrouver par rapport au mouvement: dans l'ordre, des messages de soutien aux victimes, des critiques de la violence policière (ici sous forme sarcastique), des réactions sur le sujet, du soutien envers les activistes.
Le mouvement est encore largement mentionné après 6 ans d’existence. Il s’est fait internationalement connaître et à pris une ampleur remarquable, au point d’être impliqué politiquement pendant les dernières présidentielles aux Etats-Unis.

Manifestation en réponse aux violences policières
Attention! Internet a beau être une source de connaissances et d‘informations presque infinie, il ne faut pas se fier à tout ce qu’on y dit. Une polémique a fait surface récemment concernant des sites de “fake news”: des articles au titre aguicheur, souvent présentés de manière très professionnelle, mais au contenu factice ou romancé, créé dans un but essentiellement commercial. Ce type d’information est disséminé partout sur le web, en particulier sur les réseaux sociaux où ils sont très partagés. Ce n’est pas une bonne nouvelle étant donné que de nombreuses personnes utilisent ces plateformes pour s’informer.
L'instantanéité et la facilité d'utilisation de ces médias renforcent leur attractivité, notamment face aux médias traditionnels (télévision, radio) en matière d’actualité.
Selon l’étude menée par Credoc sur les équipements technologiques et leurs utilisations en France, parmi les nombreuses utilisations des réseaux sociaux (contacts socio-professionnels; divertissements), celle de l’information se développe très rapidement. En effet, en 2015, 71% des participants affirment utiliser ces médias comme source d’information contre 54% en 2012, soit une augmentation de 17 points en seulement trois ans.
Pourtant, cette source n’est pas toujours fiable, surtout par rapport aux médias traditionnels, spécialisés dans l’information.

Une fausse information peut mener à un mouvement de foule virtuel si elle n'est pas arrêtée à temps. En 2016, un algorithme Facebook a activé son “Safety Check”* après qu’une multitude de “fake news” se sont répandues à propos de explosion d'une bombe à Bangkok. Cette explosion avait en fait eu lieu un an plus tôt, en août 2015, dans le sanctuaire d’Erawan en plein centre de Bangkok. Facebook a désactivé le “Safety Check” une heure après qu’il a été activé, juste à temps pour que la panique se disperse. Le monde entier a eu connaissance de cet incident.
*Fonctionnalité Facebook qui permet de vérifier si nos amis Facebook sont en sécurité s’ils se trouvent dans une zone où a eu lieu un attentat ou une catastrophe naturelle

Le "safety check" Facebook activé par erreur
Souvent considérés comme le quatrième pouvoir, les médias exercent une influence considérable et peuvent susciter des mouvements de protestation, souvent par le biais des réseaux sociaux. C'est pour cela que certains dirigeants comme Poutine en Russie et tout récemment Trump aux Etats-Unis mènent une guerre sans relâche contre les médias qui, la plupart du temps, décrivent une réalité sans concession, même en défaveur des présidents. Mais c'est Xi Jinping, président de la Chine, qui mène la politique la plus dure à ce sujet. Il affirme d'une part que « le cyberespace doit être gouverné, opéré et utilisé conformément à la loi, pour que l’internet puisse profiter d’un développement sain sous un état de droit » car selon lui la sécurité est la première des libertés. De plus, le réseau social Facebook est censuré en Chine: avec une population d'une telle envergure (1,357 milliards d'habitants, 19 % des individus de la planète en 2014 selon l'Ined), l'Etat chinois cherche apparemment à éviter tout rassemblement protestataire. En effet, les mouvements de foule seraient catastrophiques pour l'Etat: ils pourraient remettre en cause sa légitimité et secouer le pays de l’intérieur.